Un an ou plus de dix mille ? Quel est le temps qu’il faudrait attendre après l’arrêt des émissions de dioxyde de carbone (CO2) d’origine humaine pour que le surplus que nous avons ainsi créé depuis l’époque moderne disparaisse de l’atmosphère ?

La bonne réponse, malheureusement, est… plus de dix mille ans ! Vous avez bien lu : si nous arrêtons les émissions de CO2 demain matin, dans dix mille ans la concentration atmosphérique ne sera toujours pas redescendue au niveau qu’elle atteignait en 1750, avant que notre espèce ne commence à couper massivement les forêts, et à faire joujou avec la machine à vapeur, puis le moteur à combustion interne et les chaudières de toute sorte.

Ce fait peu connu, puisque seulement 22% des personnes qui se sont risquées à répondre avaient vu juste, est dû à une propriété que le CO2 partage avec tous les oxydes : la stabilité chimique. Une fois arrivé dans l’atmosphère, ce gaz ne fait l’objet d’aucun processus chimique d’épuration, ce qui est par contre le cas de l’essentiel des polluants. L’ozone, par exemple, est un gaz chimiquement très actif, et c’est justement pour cela qu’il est toxique pour les hommes et l’environnement (c’est notamment un inhibiteur de la croissance des plantes).

Un processus d’échappement long et compliqué

Avec le CO2, rien de tel. Une fois dans l’air, aucune réaction chimique ne vient transformer cette molécule. Pour que ce gaz quitte l’atmosphère, il doit nécessairement se trouver au contact de la surface, où il peut lui arriver deux choses : soit il se dissout dans l’océan, soit il est repris par le métabolisme des plantes.

Dans le premier cas de figure, il s’agit d’un simple phénomène de vases communicants. Si la quantité relative de CO2 (on parle de pression partielle) dans l’air est supérieure à ce qu’elle est dans l’eau, le CO2 passe de l’air dans l’eau à l’interface des deux fluides. Mais ce processus est réversible : si, à l’avenir, l’océan a du mal à « contenir » son CO2 parce qu’il se réchauffe (l’eau chaude dissout moins bien le CO2 que l’eau froide), ledit CO2 peut revenir dans l’atmosphère. Aïe !

Les émissions liées à l'activité humaine ont fait grimper les niveaux de CO2 de plus de 40% en un siècle et demi.

Les émissions liées à l’activité humaine ont fait grimper les niveaux de CO2 de plus de 40% en un siècle et demi.

© / afp.com/SCOTT OLSON

Dans le second, il s’agit de la photosynthèse. Mais le préfixe photo est là pour rappeler que cette réaction ne peut avoir lieu sans énergie, à savoir celle du « grain de lumière » – le photon -, qui est nécessaire pour que la plante parvienne à casser le CO2 en deux, gardant le carbone pour elle (qui lui servira à fabriquer ses hydrates de carbone et autres molécules), et rendant l’oxygène à l’atmosphère.

C’est donc la stabilité éternelle du CO2 – tant qu’il est au milieu de l’atmosphère – et la lenteur des processus au contact de la surface qui expliquent cette très grande longévité du surplus de CO2 une fois créé.

Tous les pays doivent agir

Deux conséquences particulièrement importantes découlent de cette caractéristique. La première est que l’impact sur le climat futur ne dépend pas du lieu d’émission. En effet, il faut « seulement » de l’ordre d’une année pour que les courants atmosphériques répartissent de façon homogène dans l’air, à la surface du globe, le CO2 qui a été émis en n’importe quel endroit. C’est beaucoup moins que le temps qu’il faut attendre pour voir ce CO2 évacuer. Pour que la concentration en CO2 arrête d’augmenter, il faut donc que tous les pays jouent le jeu en même temps : c’est la chimie qui explique la nécessité d’un accord international !

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La deuxième conséquence est que, à tout instant, la dérive climatique des vingt années à suivre est déjà totalement embarquée dans les émissions passées. Imaginez une voiture qui, dès lors que l’on appuie sur la pédale de frein, a pour première réaction de continuer à accélérer pendant vingt ans ! C’est exactement ce qui va se passer en matière environnementale : il faudra attendre vingt ans de baisse continue des émissions avant que cela ait un impact sur le climat. Il ne faut donc pas attendre que les conséquences soient insupportables pour agir : à ce moment-là, la seule certitude que nous aurons est que la situation sera pire ensuite.

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