
Croyez-vous aux esprits ? Pensez-vous que les morts d’hier parlent aux vivants d’aujourd’hui ? Est-ce que la beauté pousse ses échos à travers les siècles, pour soulever d’identiques émotions de génération en génération ? C’est le pari de Marcel Bozonnet, pour relier le XVIIe siècle et son classicisme géométrique à notre époque tranchante et tragique. Henriette d’Angleterre, belle-soeur de Louis XIV, meurt à 26 ans, à l’orée de l’été 1670. « Madame se meurt, Madame est morte ! » L’adresse célèbre de Bossuet, en son oraison funèbre, sonne et précède le récit : un mariage heureux, la séduction irrésistible du comte de Guiche, l’exil du prétendant, sa rancoeur, le poison… L’Histoire de France doit beaucoup au vaudeville. Entre les épisodes de ce destin funeste, des mélodies précieuses et austères sont pincées au clavecin par Olivier Baumont. Cet instrument, d’habitude si avare d’émotions en son tintement métallique, devient multicolore et répond par ses aigus à la voix grave, sépulcrale à souhait, de Marcel Bozonnet, de grande facture classique.
Tout de noir sanglé, cheveux blancs en bataille, profil d’empereur romain et attitude de gerfaut à l’affût, Marcel Bozonnet ressemble à Samuel Beckett, il en a l’élégance et l’intransigeance jansénistes. Virginale, la soprano Jeanne Zaepffel chante aussi juste que l’époque est fausse : cette morale par-dessus les vices, cette esthétique irréprochable pour cacher la laideur des comportements. Austérité du sermon, veulerie des moeurs. Étrange jusqu’à dérouter, fascinant jusqu’à inquiéter, ce montage est inédit.
Madame se meurt ! Théâtre de Poche-Montparnasse, Paris (VIe).
La note de L’Express : 16/20