On a pris le train à Montparnasse. On est arrivé à Angers à midi et quelques, sous la pluie, mais, premier petit miracle : un taxi était libre et il nous conduit sans ambages à l’hôtel. Comme il était midi et demi, on ne pourrait pas encore occuper la chambre avant 15 heures. Mais j’étais de bonne humeur et l’hôtesse était souriante, à l’accueil. Nous lui avons laissé nos sacs. Dora avait réservé une table aux Petits Prés, c’était à dix minutes à pied, le problème c’est qu’il pleuvait toujours, et les clients de l’hôtel avaient déjà pris tous les parapluies. J’ai regretté de ne pas avoir gardé le taxi. C’est alors que l’hôtesse souriante a tenu à nous prêter le sien, un pliant de poche. Elle nous avait prévenus : une baleine était tordue, c’était encore plus touchant de sa part. En fait, il ne pleuvait pas tant que ça, juste assez pour vider les rues d’Angers qui sont très belles, très anciennes, la France qu’on aime.

Le « croustillant de gambas obsiblue au shizo », je l’ai mangé avec les doigts. Le Savennières n’était pas de la Coulée de Serrant et ça faisait une grosse différence. Mais le ris de veau était comme on aime la France. Nous avons alors ressenti le besoin d’une petite sieste, histoire de prendre des forces avant les quatre heures et demie du spectacle de Joël Pommerat, Ça ira (1) Fin de Louis qui se jouait à 19 heures, au Grand théâtre d’Angers. On était venus pour ça, en vérité.

Il ne pleuvait plus en sortant des Petits Prés, mais j’ai quand même pensé au parapluie. En découvrant notre chambre, j’ai trouvé le lit très grand, mais c’est la chambre qui était petite. Je n’avais pas vu la tapisserie de l’Apocalypse depuis les années 1970. Je ne m’en souvenais absolument pas. Il faut dire qu’elle s’appelle désormais la tenture de l’Apocalypse. C’est somptueux. Y a plein de détails. J’ai surtout apprécié l’effondrement des cités corrompues. Babylone, etc. Et puis les dragons. Il y a des gradins qui permettent de se reposer tout en continuant de regarder. La prochaine fois j’apporterai mes jumelles pour bien voir les détails. Se promener sur les remparts du château après la pluie, c’était top. Ça nous a mis dans l’ambiance pour le récit pommeratien de la Révolution française. Quatre heures et demie de psychodrame politique, des engueulades, des grands principes, de gauche, de droite, la même volonté de pouvoir qu’aujourd’hui, à peu de chose près, deux siècles de radotages ambitieux, la France qu’on déteste racontée par la France qu’on aime. L’auteur était là, dans la salle, à l’extrémité de notre rang, Dora l’a reconnu et, à l’entracte, elle est allée lui dire bravo, ou merci, ou les deux, enfin elle a fait sa groupie. Sans moi. Elle l’a zieuté pendant la représentation : « Il rigole ! » Ça la faisait kiffer qu’il apprécie son propre texte, et les performances de ses acteurs. J’ai préféré la fin, quand le roi est nu, un grand type au flegme bourbonnais, hors sol, on en aurait vu quatre de plus pour savoir ce qui allait lui arriver : « Ils ne vont quand même pas le guillotiner ! », j’aurais crié. Ça sera pour la saison 2.

Le public lui a réservé un tel succès que je m’attendais à ce que Joël Pommerat monte sur scène, pour saluer. Tout le monde était debout pour applaudir les 32 participants à cette révolution, je les ai comptés, qui saluaient tant et plus. Mais il n’est pas apparu. A eux la gloire, à moi la modestie, j’ai pensé. Veinard.

Avant de rentrer par le train de 11h44, nous sommes allés faire un tour au musée des Beaux-Arts. Il ouvre à 10 heures. On était les premiers. Un musée vide, c’est un privilège ineffable, car à la portée de tous. De salle déserte en salle déserte, il se dégage de la présence hasardeuse, embarrassée, indécise et presque malheureuse des jeunes gens chargés du gardiennage un érotisme que les nus de David d’Angers ne parviennent pas à atteindre. On n’ose pas les regarder de peur qu’ils s’approchent et proposent un miracle qui nous laisserait sans faim.