Ce mercredi soir de septembre, la Comédie-Française est attendue à l’usine. Ou, plus précisément, dans une salle de la Friche la Belle de Mai, tiers-lieu emblématique de Marseille, où 240 spectateurs s’installent de part et d’autre d’une scène devenue espace de stockage à l’occasion de la première représentation marseillaise de 7 minutes. Jouée l’automne dernier à Paris, cette pièce de Stefano Massini, mise en scène par Maëlle Poésy, a accosté dans la cité phocéenne pour six dates, embarquant sept sociétaires ou pensionnaires du Français rejointes par quatre autres comédiennes.

Une nouvelle expérience « hors les murs »

« Donner ce spectacle à cet endroit-là ressemble à Marseille dans son côté protestataire », estime Dominique Bluzet, directeur de l’ensemble aixo-marseillais Les Théâtres, qui regroupe le Théâtre du Gymnase, le Jeu de Paume, le Grand Théâtre de Provence et le Théâtre des Bernardines. « Si le premier de ces lieux n’avait pas été fermé pour travaux, il aurait sans doute accueilli l’événement », reconnaît celui qui a constitué ce pôle entre 1993 et 2015.

Mais cela serait revenu à se priver d’une résonance entre le passé ouvrier de la Friche, où les cigarières de la Manufacture des tabacs fondèrent un syndicat en 1887, et ce huis clos dans lequel onze ouvrières d’une usine textile sont confrontées à un dilemme cornélien : accepter ou décliner l’offre des nouveaux patrons de réduire de sept minutes leur pause quotidienne en échange de la sauvegarde des emplois. Cela serait revenu à se priver, aussi, d’une nouvelle expérience « hors les murs », comme Les Théâtres en organisent depuis 2021 via l’opération « Aller vers », qui fait voyager le spectacle vivant dans les cafés, les églises, les écoles et les cours d’immeubles des villes et villages des Bouches-du-Rhône.

Comme un trait d’union entre les deux villes

« Mon aventure a pu commencer parce qu’à ce moment-là, le théâtre n’était pas un enjeu politique, analyse Dominique Bluzet. En quelques années, par leur imbrication les unes dans les autres, nous avons fait de quatre structures provinciales un organisme national capable de discuter avec les plus grandes institutions », se réjouit-il, fier de l’ouverture prestigieuse de la saison 2022-2023. Outre la Comédie-Française, les Théâtres ont également reçu fin septembre 55 danseurs de l’Opéra de Paris pour cinq représentations. Un déplacement qui s’inscrit dans une convention de partenariat signée pour trois ans, permettant de développer des projets à l’échelle de la métropole Aix-Marseille. « On a même mis le feu ! », jubile le directeur.

Pour la Biennale d’art et de culture d’Aix-en-Provence, Les Théâtres ont en effet invité la compagnie Carabosse à embraser un parcours de milliers de pots de feu reliant le Jeu de Paume au Grand Théâtre de Provence. Près d’une décennie plus tôt, cette même compagnie avait illuminé le Vieux-Port à l’occasion de Marseille Provence 2 013. Un chemin de flammes comme un trait d’union entre ces deux villes à la fois soeurs et rivales, que Les Théâtres s’efforcent de rapprocher malgré une défiance réciproque.

« Si, aujourd’hui, le dynamisme économique est plutôt marseillais, l’excellence et la sécurité sont davantage associées à Aix. Mais ces deux villes ont besoin l’une de l’autre parce que la première est menacée de déclassement tandis que la seconde risque de devenir un musée », juge Dominique Bluzet, qui invite à « sortir des fantasmes ». « Dans l’attractivité culturelle pour laquelle nous nous battons, il y a ce dont parle le personnage de Blanche dans 7 minutes : cette question de la dignité. Ce territoire a droit à ce que soit porté sur lui un regard digne et non pas caricatural. »