
Le meilleur roman de la rentrée, les Illusions perdues, d’Honoré de Balzac, est sur tous les écrans de la Gaumont et tous les soirs au théâtre de la Bastille. Sa version originale se trouve aussi dans la plupart des librairies. Du moins on l’espère, car dans ce roman publié en 1837, ce qu’on apprend sur les rapports entre Paris et la province, les artistes et les bourgeois, les journalistes et leur conscience, ce qui faisait la vie politique et littéraire sous la Restauration, tout semble le reflet, ou la continuité de ce que nous vivons aujourd’hui, sous la Dépollution. C’est l’interminable recommencement de notre roman national. Les régimes et les modes passent, l’ambition demeure, avec les grimaces du cynisme et les rouages de la trahison.
En racontant la naissance du journalisme moderne, Balzac dévoile le canevas de cette institution qui a mis toutes les autres à sa merci. Le vrai pouvoir est là, d’autant plus absolu que personne ne peut prétendre le détenir, pas même le roi, pas même son bouffon. Avant ma petite visite sur Wikipédia, je m’illusionnais sur le nombre d’adaptations cinématographiques déjà réalisées à partir des Illusions. En réalité, des Colonel Chabert, des Père Goriot, des Cousine Bette et des Eugénie Grandet, il y en a autant qu’on en veut. Mais sur l’histoire de Lucien de Rubempré, ce « grand homme de province » qui monte à Paris pour publier ses sonnets et tombe dans le journalisme, il n’y a rien ou très peu : une mini-série TV réalisée par Maurice Cazeneuve en 1966. A croire que les rapports entre l’écriture et l’argent n’intéressaient personne.
Cinquante-cinq ans après les misères de l’ORTF, voici les splendeurs du cinéma français, celui qui ose lâcher 19 millions d’euros pour dire du mal des journalistes. Il était temps. Les héros dénicheurs du Watergate, valeureux enquêteurs au costard élimé, brimés par des rédacteurs en chef sous influence patronale, on connaît la chanson. Le chef a toujours raison mais il a tous les torts. N’empêche qu’avant de le devenir, il a couru la pige, quand il n’a pas servi les cafés. Le besoin et l’ambition ont transformé l’échotier à la petite semaine en baveux d’une feuille de chantage. Opinions, goûts, convictions : allez au diable tous autant que vous êtes ! Il n’y a pas plus de plumitifs capables de résister à un billet en première classe sur Qatar Airways que de généraux mexicains à une canonnade de 50 000 pesos. C’est le génie de l’écriture qui permet de dire du bien ou/et du mal d’un film qu’on n’a pas vu, d’un livre qu’on n’a pas ouvert. L’ambiance détermine tout, l’intérêt fait le reste.
« Ce film est une honte »
Si une metteuse en scène de théâtre et un metteur en scène de cinéma s’emparent simultanément des Illusions perdues, c’est aussi parce que le sujet est devenu crucial à l’heure où un certain M. Klaxon (« Zammour » en arabe) parle d’interdire les « prénoms étrangers », pour vendre 2000 livres de plus qu’Edouard Drumont (La France juive, 1886).
Certes, il y a des bons journalistes, courageux, honnêtes, et qui pensent bien. Mais s’ils ont du talent, du génie, ont-ils du succès ? Ce que Beaumarchais disait de la calomnie, « il en restera toujours quelque chose », ça ne marche pas avec la bienveillance. Acclamez, applaudissez, il n’en restera rien. Je pourrais dire tout le bien que je pense du film de Xavier Giannoli, ça n’accrochera pas. La faute à qui ? Au lectorat. Cet inconnu omnipotent qui préfère toujours se marrer, s’indigner et pleurer avec Margot. De sa paresse et de sa distraction naissent les fortunes des charmeurs et autres chatouilleurs d’opinion publique.
Disons plutôt que ce film est une honte : les riches sont tous des salopards, les journalistes des gigolos, les actrices des putains. C’est abject tellement on s’y croirait. Car les valeurs chrétiennes, comme les vertus républicaines sont foulées aux pieds. Vous allez voir, c’est un film terrible.