Au départ, il y a une histoire vraie. Comme toutes les histoires vraies, elle est tout à fait crédible et absolument inimaginable. Vous n’avez jamais remarqué qu’il vous suffit d’imaginer une chose pour qu’elle n’arrive jamais ? Voici donc ce que Jan Vokes, serveuse dans un bar d’une petite ville anciennement minière du sud du pays de Galles, a décidé de faire pour s’en sortir. Pour une somme symbolique, 350 livres, elle a acheté Rewbell, une vieille jument de course aux origines plus que modestes, dotée d’un palmarès désolant et d’une production nulle. Le temps qu’elle aille chercher la bête avec son camion, Brian Vokes, son mari, obèse, dépressif et édenté, est sorti de sa torpeur pour construire un box à la jument. Première bonne surprise. Jan a installé la jument dans son jardin, au milieu de ses pigeons d’élevage. Avec de la bonne avoine et beaucoup d’affection, elle lui redonne comme une seconde jeunesse.

Aussitôt, la vieille Rewbell devient l’attraction, parfois la risée de ce bled rongé par l’ennui, le foot, la bière, mais qui garde, au fond de sa dépression, une lueur de folie, celle du « betting », avec son vecteur favori : les courses de chevaux. Jan s’appuie là-dessus pour mobiliser les clients du bar autour de son projet : rassembler la somme nécessaire à l’achat d’une saillie de l’étalon Bien Bien, petit-fils de Lyphard et arrière-petit-fils du Fabuleux – les connaisseurs apprécieront : il n’y a pas de hasard, pas non plus de miracle, et rien de ce qui se passe n’est incroyable. Rewbell met bas un poulain que l’on baptise Dream Alliance, et, sa tâche accomplie, succombe. Le poulain grandit, il est un bon, il va vite et saute haut, remporte des courses, chute au passage d’une haie, se blesse gravement, échappe de justesse à l’euthanasie, on le soigne, il revient en piste, gagne à nouveau et rend tout le patelin, sinon riche, très fier.

Il n’en fallait pas plus pour que Louise Osmond s’en mêle et réalise sur cette histoire un documentaire avec les images des courses de Dream Alliance, des entretiens avec les époux, les copropriétaires, et l’entraîneur du cheval. Success story contagieuse qui offre au documentaire le Prix du public au festival de Sundance en 2015, et d’autres compétitions cinématographiques qui donnent à des producteurs l’idée d’en faire un remake entièrement fictionnel, à grand spectacle : c’est Dream Horse qui sort cette semaine en France. Pour limiter les risques, les producteurs engagent des stars, Toni Collette et Damian Lewis (Homeland), les scénaristes reconstituent des scènes conjugales pour donner de la chair aux personnages, et injectent quelques conflits de voisinage afin de corser l’intrigue. Pour le suspense, il y a les courses. La recette est réalisée par Euros Lyn, vingt ans de séries à son actif (Doctor Who, Black Mirror, Broadchurch…) et c’est un régal. Même quand on prétend ne pas être sensible aux charmes des relations entre les espèces, on mouille son mouchoir du début à la fin. On se demande d’ailleurs ce qui nous émeut à ce point. La misère sociale évoquée dans ce film n’atteint pas le tréfonds de la noirceur des Ken Loach. Le drame de l’addiction au jeu est évité – pour ça, il vaut mieux lire le court polar de Sylvain Chantal, Fièvre de cheval, au Dilettante, où la bêtise du flambeur, suicidaire et vertigineuse, son inconsciente et donc véritable générosité vous tirent aussi des larmes, mais de rage.

Ce qui fonctionne dans Dream Horse, c’est le fantasme du cheval. Mais du cheval de course, un animal qui n’en est plus tout à fait un, à force de jouer à la plus belle conquête de l’homme, c’est déjà un sportif, capricieux, orgueilleux, rageur, brave et vainqueur. Quelle que soit la course, une fois lancé, le cheval devient ce que Richard III implore en échange de son royaume, l’ambition ultime du roi, la vanité pure du propriétaire, l’orgueil insatiable de l’entraîneur, et, à l’arrivée, le génie du jockey arrosé par les larmes du lad. Trois minutes hors du temps et de la raison.