
Deux films sont sortis en même temps en France à la veille du 14 juillet, sur le même sujet : le féminicide. La Nuit du 12, de Dominik Moll, et Les Nuits de Mashhad, d’Ali Abbasi. Deux polars « tirés de faits divers réels », le premier survenu à Grenoble : Clara Royer, 20 ans, se fait asperger d’essence et meurt brûlée. Le second dans la ville sainte de Mashhad, en Iran, où un tueur en série s’en prend aux prostituées qu’il étrangle et abandonne dans un terrain vague. Deux polars qui vont dans des directions diamétralement opposées.
Dans le film français, c’est Yohan Vivès, le jeune capitaine, interprété par Bastien Bouillon, qui tient le premier rôle. Il vient d’être placé à la tête de la brigade après le départ à la retraite de son ancien boss. Le film commence par une émouvante passation de pouvoir qui permet de se rendre compte de la bonne ambiance qui règne dans l’équipe. Ce ne sont pas de vulgaires flics de commissariat, c’est la police judiciaire, le gratin de la maison Poulaga. Un peu beaufs sur les bords, ils savent se tenir : pas racistes ni homophobes, le moindre écart machiste étant sévèrement réprimé par le capitaine qui n’est pas seulement jeune, mais plutôt mignon, élégant, c’est un solitaire, taciturne, mystérieux. En fait, il n’a pas l’air d’un flic, il a dû faire des études, c’est pour ça. Mais du coup, on ne croit pas beaucoup à son personnage. Le contre-emploi a ses limites. L’acteur qui s’ingénie à en faire le minimum, à intérioriser, se retrouve à en faire des tonnes, dans le genre.
Lors d’une scène en voiture, il reçoit les confidences du vieux briscard de la brigade qui va mal : sa femme a demandé le divorce, elle est enceinte d’un autre. Ça explique sa nervosité, et on se doute que ça va poser des problèmes par la suite, et ça ne ratera pas. De son côté, le jeune capitaine n’a semble-t-il rien à confesser à personne, si ce n’est à la juge en charge du dossier, à laquelle il fait part de son désarroi de ne pas avoir trouvé le coupable. Il a pourtant son idée : « Ce sont tous les hommes qui l’ont tuée. » Et là, on sent le message adressé à tous les spectateurs mâles. A vous, à moi. Il a même une théorie, le capitaine impassible : « C’est quelque chose qui cloche entre les hommes et les femmes. » Ça va loin. C’est même impressionnant, la densité de fadaises qu’un bon acteur peut débiter, sous couvert de distanciation brechtienne.
De l’invention de la présomption de culpabilité
De la banalité des scènes émergent des répliques qui nous expliquent ce que signifie le film : « C’est toujours des hommes qui mettent le feu aux femmes… à commencer par Jeanne d’Arc. » Et finalement, l’enquête ayant du mal à aboutir : « Tous ceux qu’on a interrogés auraient pu tuer Carla. » Et tous ceux qui ont été interrogés ont couché avec Carla. Ainsi, le héros auquel nous étions censés nous identifier, invente sous nos yeux sidérés la présomption de culpabilité. Il ne s’en rend pas compte, le scénariste non plus, seuls les spectateurs sont gênés. Pas tous. Le film qui voulait dénoncer la violence faite aux femmes, à force de généralités sentencieuses, tourne à la misanthropie.
S’il y a quelque chose qui cloche, c’est ce qui est perdu entre le fait d’origine, son récit littéraire, et son adaptation cinématographique. L’imagination fonctionne toujours au détriment des choses et des personnes qui ne s’inventent pas.
Dans le film d’Ali Abbasi, on sait très vite qui tue les prostituées. On le voit faire. Les motivations de Saeed (Mehdi Bajestani) sont clairement ambiguës : il prend un certain plaisir sexuel à ramasser des prostituées et à les tuer pour purifier la ville sainte. Il est confronté à une femme, Rahimi, interprétée par Zahra Amir Ebrahimi. Elle est journaliste et vient de la capitale pour enquêter sur cette série de meurtres toujours impunis. C’est simple, biblique, magistral. Ça devrait énerver, inspirer les cinéastes français. Eh bien non. Au lieu de créer une véritable école de cinéma, on a inventé l’avance sur recettes.