Le prégénérique des Passagers de la nuit, le dernier film de Mikhaël Hers, est composé d’images de la liesse populaire, le soir du 10 mai 1981, après que le visage de Mitterrand fut apparu sur tous les téléviseurs des foyers français, annonçant que la gauche arrivait au pouvoir. Les riches avaient peur, les jeunes étaient vainqueurs. J’avais voté pour la première fois de ma vie, mais, ayant accepté de participer au dépouillement, j’étais coincé toute la soirée dans la salle de la mairie de Châtenay-Malabry, et ce sont d’autres jeunes acteurs qui se sont chargés d’interpréter ce moment d’histoire, impressionné sur des pellicules bien utiles aujourd’hui à notre roman national.

Que ce film sorte au lendemain de l’élection d’Emmanuel Macron doit tenir de l’heureuse coïncidence. Qui n’en rend pas moins cruelle la différence entre cette époque lointaine où Mitterrand traversait le Panthéon avec sa rose magique et la déambulation funèbre du couple Macron vers le Champ-de-Mars, quelques minutes après l’annonce du résultat. Différence d’ambiance, de style, mais similitude démocratique : deux hommes de droite élus par le peuple de gauche. Avec tout ce que cela promet.

La chanson du film est de Joe Dassin : « Et si tu n’existais pas, dis-moi pourquoi j’existerais »… La nostalgie est un instrument à mesurer le temps. Charlotte Gainsbourg, virtuose du temps qui passe. Elle avait à peine 10 ans le jour de l’arrivée de la gauche au pouvoir. S’en souvient-elle ?

Une intrigue un tantinet pasolinienne

L’appartement dans lequel le film a été tourné ressemble à celui que nous avions visité, Dora et moi, qui fut celui de la famille Chedid, au 18e ou 30e étage d’une des tours du quartier de Beaugrenelle : vue sur d’autres tours, les toits de Paris et la Seine, le vertige maîtrisé, l’irréalité suspendue aux baies vitrées, les meubles en bois, les livres d’art, toute une modernité dont on cherche à savoir à quel moment elle est devenue désuète, et ça vous serre le coeur. Mais habiter là ? On avait renoncé. A cause du spleen. Mais pour un film, en décor, quel régal ! Tout se passe là, autour du malheur que Charlotte Gainsbourg doit surmonter : abandon du mari, cancer du sein, et trouver du boulot parce qu’encore deux enfants à nourrir. Ça fait beaucoup, mais la fragilité, l’autre instrument de Charlotte Gainsbourg, devient une force quand c’est joué avec une telle grâce. Et, comme dans une séquence désastreuse d’Emmanuel Macron, il lui suffit de traverser la rue pour trouver son job. En l’occurrence, il lui suffit de traverser la Seine, là où Henry Bernard, l’architecte des pâtisseries urbaines, a posé le siège de Radio France. Elle devient l’assistante maladroite d’Emmanuelle Béart, dictatrice radiophonique d’une émission de confidences nocturnes, encore plus vraie que Macha Béranger.

La déesse ex machina de ce film de quartier est une junkie délurée interprétée par Noée Abita, qui montre qu’elle valait beaucoup mieux que la championne de ski de Slalom.

Pour ne rien révéler de l’intrigue, un tantinet pasolinienne, ce théorème amoureux et familial propose aussi une poignée de rôles secondaires masculins : un fils, un père, un amant, un collègue – des faibles, des gentils, des abandonnés ou en passe de l’être et qui tournent comme des phalènes autour de ces filles principales.

Cette élection présidentielle aura montré que du point de vue de la place des femmes le monde politique est encore en retard sur le cinéma. Valérie Pécresse, Anne Hidalgo, Nathalie Arthaud, ce ne sont plus des figurations, ce sont des silhouettes. Quant à Marine Le Pen, on aurait aimé qu’elle nous fasse le coup de Giscard avec son « au revoir » avant de se lever et laisser sa chaise vide. Même pas.

Moi, je voudrais que Charlotte Gainsbourg soit présidente de la République, à condition qu’elle continue à jouer dans des films comme Les Passagers de la nuit. Un scénario où elle se mettrait à la colle avec Volodymyr Zelensky, c’est jouable ?