
Vous vous souvenez certainement où vous étiez quand Notre-Dame a pris feu. Moi, j’étais dans ma chambre, au Sheraton de Damas, quand Dora m’a téléphoné pour me prévenir. Je revenais tout juste d’une virée à Soueïda, en pays druze. Adnan, notre guide au pays de Bachar el-Assad, nous avait juré qu’il y avait eu des échauffourées la nuit d’avant, mais impossible d’en savoir plus, sinon que les Daesh étaient dans le coup, et qu’il y avait eu un mort. Sûr qu’il nous avait dit ça pour nous faire peur, nous rendre le voyage plus palpitant. En tout cas, on n’avait rien vu, et la guerre continuait de nous échapper.
A peine douché, affalé dans ce dernier îlot de luxe de ce pays ravagé par la guerre, je reçois un SMS de Dora : « Chériii, Notre-Daaaame !! » J’ai le chic pour ne jamais être là où ça se passe. Quand la tête de Zidane a envoyé pour la deuxième fois le ballon dans le but brésilien en finale de la Coupe du monde, j’étais à Mexico. Quand la même tête a frappé la poitrine de Materazzi, on était sur l’île de Madère. Le 4 août 2020, quand Dora a été secouée-soufflée par l’explosion du port de Beyrouth, j’étais comme un con à Paris.
Du coup, je ne sais plus où aller pour qu’il ne se passe rien. J’aurais sans doute dû aller à Kiev, la semaine dernière. Au risque de ne pas assister au meeting de Valérie Pécresse au Zénith. Le pire, c’est le World Trade Center. J’étais dans le grenier de la société des courses, en train de fouiller dans les archives, la batterie de mon téléphone à plat. En sortant de là, à 6 heures du soir, je n’ai eu droit qu’à des redifs.
QG miroir et couronne d’épines
Je n’allais donc pas rater cette invitation à l’avant-première de Notre-Dame brûle. Je découvrais à cette occasion la salle superpanoramique du Pathé Beaugrenelle, un écran à la mesure du drame, un fauteuil comme un trône. Ça contraste avec le film, fait de bric et de broc, ce qui est plutôt sympathique pour un film à si gros budget. Entre les reconstitutions, les images prises par les portables des badauds sur place, celles des télévisions, celles de l’armée, de la police, il y a notamment ce plan aérien de la cathédrale en feu, tourné au drone, très impressionnant, sauf qu’en bas à droite de l’image apparaît le logo de l’armée de l’air, ou de la préfecture de police, je ne sais plus, ça fait bizarre, ça ramène moins à la réalité qu’à la ténuité de ce qui la sépare de la fiction.
D’ailleurs, au départ, ça devait être un documentaire, et puis au fil de leurs recherches les scénaristes ont découvert des histoires tellement dingues que l’envie de les reconstituer en fiction s’est imposée. Je vous en raconte deux. Vous ne me reprochez pas de vous « spoiler » le film puisque vous savez comment ça finit. D’abord, l’histoire de la couronne d’épines. Celle du Christ. Non seulement je ne savais pas qu’elle était là, dans la cathédrale, mais j’ignorais même qu’elle existait. Je voyais ça comme une corne de licorne. Pas du tout ! Quand on voit le recteur archiprêtre de la cathédrale à genoux sur le trottoir en train de prier en pleurant pour qu’on sauve cette couronne des flammes, on comprend que le Christ l’a vraiment eue sur la tête, avec les gouttes de sang et tout.
Mais le plus extraordinaire, l’histoire qui aurait en elle-même suffi à faire un film, c’est le coup du « QG miroir ». Je vous explique. Au moment de l’incendie, deux généraux des sapeurs-pompiers de Paris sont en charge de l’opération baptisée « Qu’est-ce-qu’on-peut-faire ? ». Quand le président de la République arrive sur place, les deux généraux se partagent la tâche : le premier s’installe avec Macron, sa cour et quelques journalistes accrédités dans ce fameux QG miroir, où il explique la situation au chef de la nation, tout en faisant semblant de donner des ordres à des pompiers fantômes, bref, il amuse la galerie, tandis qu’à 200 mètres de là le second général dirige les opérations, au calme, et pour de vrai. Fiction, réalité, allez tous au diable, disait Pirandello.