La boule à facettes ne tourne plus à La Clé des chants. Les enceintes ont été débranchées, les projecteurs, définitivement éteints. En juillet, cette institution de l’Ain, posée au milieu de nulle part, à Montrevel-en-Bresse, a donc célébré son ultime soirée. Rideau sur quarante-sept années de festivités qui ont eu le mérite de soutenir le taux de natalité du coin. Sur la page Facebook de l’établissement, pas d’épitaphe. Mais un simple message d’adieu du gérant de cette affaire familiale. Vincent Josserand souhaite passer à autre chose, comme tant d’autres patrons de discothèque de campagne.

C’est un fait, la France des Macumba se porte mal. Selon la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), on dansait dans 4 000 clubs dans les années 1980. Ils ne sont plus que 2 437 aujourd’hui. Particulièrement touché, le milieu rural voit disparaître une à une ses boîtes de nuit. Depuis janvier 2019, « entre 40 et 60 » d’entre elles ont coupé le son, sans projet de reprise similaire, déplore Patrick Malvaës, président du syndicat de la profession. Dans le cimetière des dancings emblématiques, La Clé des Champs a rejoint La Taverne (Saint-Hilaire-du-Harcouët), Le Looksor (Clisson), La Grange aux loups (La Chapelle-aux-Brocs), Le Lagon bleu (Noeux-les-Mines). Et, bien sûr, le Macumba de Saint-Julien-en-Genevois, complexe de cinq salles et cinq ambiances, bientôt transformé en galerie commerciale après trente-huit ans de soirées mousse et concours de tee-shirt mouillés.

Entrée gratuite pour les filles

Fermer un club de campagne, c’est donc en finir avec ces noms kitsch, évoquant les civilisations antiques (Le Sphinx, La Pyramide), les tropiques (Le Cabana, Le Lagon bleu), les Etats-Unis (Le Vegas, Le Manhattan) ou l’onirisme (L’Amnésia, Le Paradise). C’est aussi raser des façades en carton-pâte faites de colonnades décrépites. C’est faire une croix sur cette déco intérieure surannée aux murs de leds et de miroirs. Cette piste où le DJ ne passe que le hit-parade et souhaite les anniversaires. Ces bouteilles d’alcool de supermarché vendues un demi-smic. Ce fichu loquet des toilettes qui ne fonctionne pas. Ces filles qui ne paient pas l’entrée. Ces garçons aux hormones en fusion qui tentent de séduire avec des pompes de ville pointues. Et évidemment, un videur qui ne pointe jamais personne à l’entrée.

L’image a jauni, certes, mais l’explication de l’hécatombe est d’abord démographique. Dans le Gers, qui a perdu un tiers de ses 15-30 ans en quarante ans, il n’y a plus qu’une discothèque. Le Lot et la Corrèze peinent aussi à attirer les jeunes, dont les réflexes festifs ont changé : « La musique est dans leur main avec les smartphones, glisse Stéphane Vasseur, chargé de la collecte des droits de diffusion publique à la Sacem. La consommation musicale collective s’oriente désormais autour du spectacle. » Comprenez les concerts, festivals ou cafés-restaurants dansants. Moins ringards et surtout moins onéreux.

Retour à la sphère privée

Depuis la crise, les Français admettent avoir réduit significativement leurs dépenses de loisirs. Selon une étude OpinionWay de 2018, leur budget avoisine 660¤ par an pour s’amuser. Sans surprise, leur priorité n’est pas la sortie en boîte. Surfer sur Internet, regarder la télévision ou voir des amis font partie des passe-temps privilégiés. A la nuit tombée, les jeunes n’engloutissent donc plus leur compte épargne dans des soirées où tout, ou presque, leur est facturé: l’entrée (10¤ en moyenne à la campagne), le vestiaire, les consommations (80¤ la bouteille) et le transport.

Pour une soirée entre amis, un appartement, une cour d’immeuble ou un parc font désormais l’affaire. « Ils ont besoin de se retrouver dans des moments de partage. Dans des lieux de convivialité, d’échanges. Et la discothèque n’est pas forcément le meilleur endroit pour cela », poursuit Stéphane Vasseur. En matière d’alcoolisation festive, cela se traduit par un retour à la sphère privée. On préfère l’entre-soi, plus calme et moins oppressant, surtout quand on est une femme. La vague #MeToo est passée par là.

Par ailleurs, il n’est plus du tout indispensable d’aller en boîte pour draguer. Les applications (Tinder, Grindr, Happn, etc.) ont été inventées pour cela. « Il y a quelques années, c’était le principal lieu de rencontres. C’est aussi en province qu’il y avait les bals, autrefois. Ça marchait, d’autant qu’il n’y avait pas de distractions alternatives, regrette Patrick Malvaës. Mais, surtout, en milieu rural, impossible d’aller en discothèque en transports en commun ou en taxi. Les gens sont obligés de prendre leur voiture. » Et c’est là que commencent les problèmes.

Le poids des contraintes administratives

Sur la route, jalonnée de petites stèles ornées de fleurs en plastique, les gendarmes allument souvent le gyrophare : « Ils font souffler, souffler, souffler les gamins, au point de les dégoûter », s’agace Jacques Claret, ex-patron de La Grange aux loups, temple des nuits corréziennes avec ses quatre salles – généraliste, tropicale, années 1980 et rétro. Situé non loin d’un rond-point transformé en check-point pour clubbeurs alcoolisés, l’établissement a fermé en 2016. « J’ai écrit au préfet pour dénoncer un manque de logique. On était la seule structure importante du coin. Je ne comprends pas pourquoi ils ne levaient pas le pied sur les contrôles parce que, depuis qu’on n’est plus là, les gamins vont à Limoges ou à Périgueux. » Soit 100 kilomètres plus loin.

Et puis, il y a toutes ces contraintes administratives à gérer. Les réglementations sur le tabac, les normes acoustiques ou l’alcool, ont imposé aux établissements des fumoirs, une insonorisation adéquate, voire des navettes pour raccompagner les clients éméchés. Avec, dans le même temps, un renforcement des contrôles, souvent synonymes de fermeture administrative provisoire. Patrick Malvaës dénonce ainsi le zèle de certains sous-préfets. « Boostés par la culture du résultat, ils jouent les matamores. Ils ont un comportement corporatiste de petits chefs. C’est la politique du coup de menton. Ils ne se rendent pas comptent qu’ils mettent en péril un équilibre économique fragilisé. » Un tiers des discothèques françaises réalisent moins de 150 000 euros de chiffre d’affaires à l’année, selon la Sacem. Sachant que le tournant a eu lieu entre 2008 et 2010. Sur ces trois ans, le chiffre d’affaires du secteur a chuté de 30%, précise l’organisme.

« J’ai préféré arrêter avant qu’il y ait un drame »

« C’est vraiment difficile, confirme un patron de boîte de nuit de Vendée, qui peine à renouveler sa clientèle et préfère rester discret. Les pouvoirs publics sont de plus en plus exigeants. On nous responsabilise en cas d’accident. On doit veiller sur ceux qui sont trop imbibés, il faudrait aussi leur imposer un éthylotest et leur confisquer leurs clés de voiture. C’est impossible… »

Du coup, au moindre tracas administratif, certains patrons jettent l’éponge. Exemple à La Grange aux loups, frappée par un avertissement préfectoral après une bagarre sur le parking du club en 2016. « A l’intérieur, on arrivait à tenir les jeunes. Mais, à la sortie, à 5 heures du matin, quand ils sont tous alcoolisés, même avec des maîtres-chiens, c’est compliqué. » En ville, les rixes éclatent sur le trottoir, dans l’espace public. Or, en milieu rural, le parking est considéré comme une zone privée, sous la responsabilité du gérant. Un vrai handicap, selon Jacques Claret : « J’en ai eu marre de faire le flic. Ça devenait hyper dangereux. On a eu quelques coups de couteau. Psychologiquement, j’ai préféré arrêter avant qu’il y ait un drame. »

Quand le voisinage peste

Parfois, il faut aussi composer avec le voisinage. Oui, même à la campagne. Direction Noirmoutier, où La Boîte à sel, un mythe local, a dû fermer ses espaces extérieurs en avril. La raison ? Après des années de procédure, le patron, Romain Coulon, a perdu un procès intenté par deux particuliers. Construit il y a cinquante ans au coeur des marais, l’établissement a peu à peu vu fleurir les résidences secondaires. Trop de bruit, trop de monde, trop de lumières… Bref, trop de nuisances pour les vacanciers, qui ont eu raison des clubbeurs, malgré une pétition en ligne et le soutien du maire. « Maintenant, l’activité est complètement réduite. On sauve les meubles avec nos après-plage de 18 à 23 heures avec des jeux, des apéros… Mais, passé cette heure-là, c’est fini. » Pas vraiment l’ambiance des grands clubs de campagne. Finalement, Jean-Pierre Mader pourrait récrire son tube légendaire : au Macumba, on s’endort tous les soirs.