Dans L’Express du 24 mars 1975 :

“Un film en costumes, vous n’y pensez pas, après l’échec des Charlots mousquetaires” ! Cette réplique, on le devine, a été lancée par un producteur de cinéma (il en est de pusillanimes) à Bertrand Tavernier. Celui-ci voulait tourner un film sur la Régence, Que la fête commence. Et il n’avait à offrir en gage que le succès de son premier long métrage, L’Horloger de Saint-Paul : trois cent mille entrées, et le prix Louis-Delluc. Cela ne semblait pas suffisant…

Mais Bertrand Tavernier est un garçon têtu. Et qui inspire des amitiés. Celles de Philippe Noiret, de Jean Rochefort, de Jean-Pierre Marielle, de la productrice Michelle de Broca (il en est d’audacieuses) lui ont finalement permis de tourner sa “Fête”. Elle surprendra les amateurs des “Charlots”.

Cinéphile avant de devenir cinéaste

Parti, en effet, d’Alexandre Dumas, il a pour finir – et avec l’aide de Jean Aurenche – écrit une fable insolente qui emprunte aussi bien à Manceron qu’à Michelet. Et même au cardinal Daniélou ou à certaines radioscopies de Jacques Chancel. Il n’hésite pas à y puiser des répliques qu’il prête à ses héros. Celle-ci, entre autres : “Je suis essentiellement païen et difficilement chrétien.” En regardant Que la fête commence, on sera donc surpris par le langage. Mais aussi par le ton. “J’ai voulu, dit Tavernier, contrarier cette manie qu’ont les comédiens, dès qu’ils jouent en costume, d’en remettre, de parler haut et de chasser le naturel du murmure.” Cinéphile avant de devenir cinéaste, Bertrand Tavernier, pour justifier le projet de Que la fête commence, invoque Darryl Zanuck : “Si vous voulez faire des films excitants, lisez la première page des journaux et l’histoire de votre pays.” Et pour justifier ses partis pris de mise en scène, il en appelle à John Huston, qui disait, à propos de Juge et hors-la-loi : “Cela ne s’est peut-être pas déroulé ainsi, mais c’est ainsi qu’il eût fallu que cela se déroule.”

Le passé de Tavernier explique donc son présent. Avant de se lancer, à 34 ans, dans l’aventure d’un long métrage, il a plus fréquenté les coulisses du cinéma que celles de l’Histoire. Négligent et attentif à la fois, il a flâné pendant quinze ans dans les décors de Jean-Pierre Melville, chez qui il fut assistant stagiaire pour Léon Morin prêtre, ou ceux de Jean-Luc Godard, dont il lança Pierrot le Fou avant de se mettre – passionnément – au service, en tant qu’ami et chargé de presse, d’Elia Kazan, de John Ford, de Raoul Walsh ou de Joseph Losey. De chacun, il prit une leçon. Et parfois même un tic, une manière de vivre. Ainsi, il a emprunté à Claude Chabrol cette robuste habitude qui consiste à choisir ses décors de tournage en extérieurs dans les provinces dont la gastronomie est réputée…

Un personnage du XVIIe siècle

D’une ébauche de licence en droit, Tavernier conserve aussi l’envie de plaider. Pour le cinéma. Dont l’avenir économique l’inquiète. “On devrait instituer le droit à l’image, un 1 % sur le prix des places qui reviendrait au metteur en scène. Ainsi, il ne serait plus à la merci des producteurs, des distributeurs, des exploitants. Le talent s’use à la recherche de l’argent. Et l’enthousiasme, à force de tourner n’importe quoi pour en gagner. La plus importante des censures cinématographiques, c’est l’argent.”

Sa plaidoirie terminée, Tavernier poursuit sa route. A pied. Il ne possède ni voiture ni résidence secondaire. Il prépare son prochain film (une affaire de justice en 1894) et dit : “Locataire d’un immeuble normal, je me cache sous le masque d’un personnage du XVIIe siècle ou derrière le héros d’un fait divers pour exprimer mes propres émotions. L’autoportrait au cinéma ne garantit pas la présence d’un créateur.”