Le cinéma s’intéresse davantage aux histoires de détectives privés qu’aux intrigues de chefs d’entreprise. Alors si en plus le patron est une patronne, le champ se réduit encore davantage. Dans cette série d’été, nous avons retenu quatre films, français et américains, de 1933 à 2017, dont l’héroïne est une dirigeante. A poigne ou sensible, dans l’univers de l’industrie ou celui de la mode, respectée ou honnie, vertueuse ou scandaleuse, elles disent toutes quelque chose de la société dans laquelle elles évoluent et de la façon dont elles sont perçues. Pour L’Express, de grandes patronnes d’aujourd’hui ont apporté leur regard sur leurs consoeurs de fiction.

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Elle est la caricature de la femme de pouvoir. Ni acariâtre, ni égoïste, ni belliqueuse, Emmanuelle Blachey, l’héroïne de Numéro une, est au contraire avenante, empathique, placide. Ce film est sans doute celui qui aborde avec le plus de réalisme l’itinéraire d’une grande dirigeante dans le monde de l’entreprise. Coscénariste, la journaliste Raphaëlle Bacqué avait ouvert les portes du capitalisme français version féminine à Tonie Marshall. La réalisatrice avait ensuite synthétisé leurs confidences, celles d’Anne Lauvergeon et de Laurence Parisot parmi d’autres, pour créer le personnage interprété par la si subtile Emmanuelle Devos.

Bandeau série d'été 2023

© / L’Express

Numéro une suit le parcours, à la vie comme à la scène, d’une brillante directrice d’un producteur d’éoliennes qu’un réseau de femmes pousse à briguer le poste de PDG d’Anthea, équivalent fictif de Veolia et membre du CAC 40. Elle deviendrait ainsi la première à décrocher une telle fonction… Des obstacles se dressent, bien sûr. Le premier, c’est elle-même, constate Valérie Vesque-Jeancard, une dirigeante de Vinci férue de culture. “Lors de sa première rencontre avec ce réseau féministe, Emmanuelle Blachey se démarque en estimant qu’il est ‘rageant de jouer la carte féminine’, ajoutant : ‘Toute ma vie, j’ai essayé de faire oublier que j’étais une femme.’ Elle n’est ‘pas sûre de croire à la solidarité féminine’, ce à quoi la patronne du réseau lui répond qu’il ne s’agit pas de religion, mais de politique”, relève la présidente de Vinci Railways et directrice déléguée de Vinci Airports au CV long comme le bras : polytechnicienne (comme le personnage), mais aussi diplômée de l’Ecole des ponts et de l’Ecole d’économie de Paris, passée par Bercy, la Cour des comptes, la direction de la Bibliothèque nationale de France et celle de la Réunion des musées nationaux – Grand-Palais, entre autres. “Emmanuelle Blachey va régulièrement à l’opéra et à la salle de sport, deux marqueurs de la femme de pouvoir ! Mais elle est attachante par sa fantaisie, déclamant Cyrano de Bergerac dans la rue avec sa fille ou fumant en cachette sur le toit de son building telle une adolescente”, sourit-elle.

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Valérie Vesque-Jeancard, présidente de Vinci Railways & Directrice déléguée France & Amériques

© / Alexandre Dupeyron/Vinci

Face à la candidature d’Emmanuelle Blachey, la résistance masculine s’organise. Jean Beaumel essaye d’imposer son propre poulain à la tête d’Anthea, où il a lui-même exercé, et magouillé. Interprété par Richard Berry, ce triste sire incarne résolument l’ancien monde, celui de la misogynie, de l’intrigue politique et des coups bas, avec l’appui de son éminence grise – Benjamin Biolay. Il ira jusqu’à cracher à sa rivale : “Tout ce que vous ferez sera analysé à la loupe. Chaque fois que vous ferez une erreur, elle rejaillira sur toutes vos congénères, et elles vous en voudront.” Pas de soutien à attendre non plus au sein de sa propre entreprise ni même parmi les proches de cette brillante quadra. Son patron reconnaît les qualités de sa collaboratrice, habile négociatrice et parlant couramment mandarin avec leurs clients chinois, mais exerce un paternalisme bon teint. Son père universitaire regarde avec un certain mépris le monde de l’entreprise. Son mari se rebiffe, craignant de sacrifier sa carrière sur l’autel de celle de son épouse.

Valérie Vesque-Jeancard avoue pour sa part ne pas avoir eu à se battre ou à intriguer pour progresser. Et que des femmes ont aussi pu lui mettre des bâtons dans les roues, à l’occasion. En revanche, dit-elle, “je me reconnais assez dans cette volonté de tout mener de front, de passer régulièrement du sérieux à la légèreté, de veiller autant à mon équilibre qu’à celui de ceux qui m’entourent, professionnellement et personnellement. Ce portrait sensible me semble bien représenter les dirigeantes d’aujourd’hui. Travailleuses, constructives, passionnées par leur travail, en quête d’’utilité au monde’ plus que de pouvoir… et menant des vies sans aucun temps mort !”. La dirigeante de Vinci rejoint ici la pensée de Tonie Marshall, résumée dans une interview au Figaro en 2017, à la sortie du film : “Une des grandes différences entre les sexes est là : les hommes veulent un poste. Les femmes veulent un projet.”

Numéro une (2017), de Tonie Marshall.

Avec Emmanuelle Devos, Suzanne Clément, Richard Berry…