Elle a une voix déchirante, une sensibilité à fleur de peau, une âme d’artiste. Elle écrit des textes d’une poésie subtile, connaît les mots rares, invente des mélodies délicates. C’est bien simple: elle est parfois comparée à Barbara et croule sous les distinctions (dont le grand prix de l’Académie Charles-Cros) et les critiques dithyrambiques, du Monde de la musique à Télérama, en passant par Libération. Et pourtant, personne ou presque ne connaît Marilis Orionaa. C’est un peu sa faute, aussi: elle s’obstine à chanter en… béarnais. Son dernier et quatrième album, La Destinada, qui vient de sortir, ne déroge pas à la règle.

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Evidemment, elle sacrifie ainsi sa carrière, en partie du moins. Si elle persiste, c’est qu’elle y trouve d’autres satisfactions, de l’ordre de l’intime, de l’enfance, de l’enracinement. “Le béarnais, dit-elle, me procure de telles joies qu’il me console de presque tout. Comme les plantes médicinales, un peu sauvages, il est bourré de principes actifs. Il est souverain contre le découragement, la vulgarité ambiante, la pollution sous toutes ses formes.”

Elle reste néanmoins victime de présupposés anachroniques. Les radios qui ne passent pas ses disques, de peur que les auditeurs ne comprennent pas les paroles, diffusent à l’envi des chanteurs anglo-saxons. “L’anglais menace bien davantage le français que les langues régionales“, souligne Marilis Orionaa. Et l’on serait curieux de voir un programmateur influent oser la contredire.

Dans l’entretien qu’elle a accordé à l’Express, elle s’explique sur son parcours atypique. Et assume ses choix.

En quelle langue écrivez-vous ?

J’écris en béarnais, qui est une forme de gascon. C’est la langue de ma famille, le béarnais de la région d’Orthez, ancienne capitale du Béarn, avec des influences des Landes toutes proches, de la Chalosse. Les particularismes sont très importants en poésie. À chaque album, j’hésite sur le choix de la graphie. En ce qui me concerne, je suis plus familière de la graphie normalisée, c’est la première que j’ai apprise, elle est plus élégante, plus rigoureuse. Mais je reconnais que la graphie fébusienne rend mieux compte de la musique de la langue, des rimes intérieures, et elle est plus émouvante dans son humilité. Ce serait fastidieux de publier dans les deux graphies, un livret de CD est une petite chose et les traductions françaises prennent déjà beaucoup de place. En tout cas je préconise la plus grande tolérance à l’égard des graphies, à condition que ce ne soit pas une bouillie informe qui mélange tout.

Pourquoi écrire en béarnais, à une époque où cette langue est de moins en moins comprise ?

J’ai toujours côtoyé des gens qui avaient à coeur d’être inventifs, drôles, percutants, imagés, chaque fois qu’ils ouvraient la bouche en béarnais. J’écris de la poésie pour essayer d’être à la hauteur. Ça devient difficile de parler béarnais entre personnes de langue maternelle française. On a tendance à penser en français et à traduire simultanément, plus ou moins bien. Passer par la poésie me permet de comprendre à quelle source les gens de ma famille, de mon entourage, puisaient leurs trouvailles, qu’est-ce qui dans la langue, dans sa structure, son vocabulaire, sa syntaxe, permet cette créativité.

D’autre part, le béarnais et la poésie, pour moi c’est intimement lié. Mon père nous a abreuvés d’idéologie occitane, mais il a une sensibilité littéraire. Il nous a fait lire très tôt les grands poètes gascons. À douze ans j’ai découvert La legenda deu capdèth d’Arroian de Miquèu de Camelat. Ça m’a éblouie pour la vie.

Vous avez obtenu différents prix, qui témoignent de vos qualités artistiques. En choisissant le béarnais, ne sacrifiez-vous pas votre carrière ?

La vie d’artiste est difficile de toute façon. Mais le béarnais me procure de telles joies que ça me console de presque tout. Je pense que nos langues régionales sont bourrées de principes actifs, comme des plantes médicinales, un peu sauvages, elles ont des vertus thérapeutiques, il faut les préserver. Il faut cultiver nos jardins de langues régionales. C’est souverain contre le découragement, la vulgarité ambiante, la pollution sous toutes ses formes, j’en suis convaincue.

Vous a-t-on déjà proposé de mener carrière en français ? Qu’avez-vous répondu ?

On m’a souvent prédit que je ne sortirais pas du Béarn, mais j’ai beaucoup voyagé, du Maroc à la Finlande, en chantant en béarnais. Je n’ai rien contre le fait de chanter en français, mais je me sens plus libre en béarnais. J’ai beaucoup arpenté les Pyrénées, j’aime chanter des mélodies qui suivent la ligne de crête, les paroles me viennent dans la langue du pays.

Avez-vous le sentiment que la France laisse moins de place à ses cultures “régionales” que d’autres pays européens ?

La France a peur de ses langues régionales. C’est idiot. Tous les amoureux des langues régionales que je connais ont de la vénération pour la langue française. Ils détestent qu’on l’estropie, qu’on la défigure. Ils ne sont pas les adversaires de la langue française, au contraire ils s’en portent garants. C’est l’intrusion de l’anglais dans tous les domaines qui menace l’équilibre de la langue française, pas les langues régionales.

Cette attitude politique rejaillit-elle sur les milieux culturels ? Ressentez-vous une forme de condescendance de la part de vos collègues qui s’expriment en français ?

La plupart ont du mal à admettre que chanter dans une langue régionale ça n’est pas forcément chanter des chansons traditionnelles. Comme s’il ne pouvait y avoir de création qu’en français. J’adore les chansons traditionnelles du Béarn et des Pyrénées, il m’arrive d’en reprendre en concert. Cependant,mes chansons, je les écris.